Adam traînait un peu des pieds, depuis son installation. Il réservait une pièce entière à l’entreposage de ses cartons. Il aurait pu consacrer cet espace à tout autre chose, mais non. L’homme stockait une somme conséquente de boîtes, qu’il n’avait aucunement l’intention de trier ou de ranger. La raison était simple. Il rechignait à l’idée de se plonger dans le passé. Remuer le contenu de ces coffres le rebutait. Il préférait les laisser dans leur coin. Parfois, il envisageait de faire appel à une entreprise de débarras. De la sorte, il libérerait de l’espace. Chaque mètre carré était bon à prendre. Adam ne manquait pas vraiment d’espace au sein de son duplex. Mais il fallait tout de même qu’il finisse par s’approprier les lieux, pour de bon. Ce mois-ci, il fêtait le premier anniversaire de son divorce. Après un an, il en était encore au stade des cartons et de la vaisselle dépareillée. Adam se trouvait presque pathétique. D’un autre côté, le temps lui faisait défaut avec tous les tournages qu’il enchaînait. Il avait tendance à repousser certaines tâches désagréables.

Lea comptait passer les fêtes avec ses amis et sa famille. Un excellent plan d’après Adam, il entendait en faire autant. Il avait déjà pris ses dispositions pour Noël. Il ne verrait pas ses parents ou sa sœur, pour des raisons qui lui étaient propres. Toutefois, il devait retrouver des proches. L’acteur ignorait encore où il célébrerait la Saint-Sylvestre. On l’avait d’ores et déjà invité à quelques soirées. Adam fuyait les événements trop extravagants. Il avait encore tout le temps de se décider. Il priait pour que la nouvelle année soit plus calme. En définitive, cet aspect dépendait entièrement de lui. S’il suivait ses projets, ce rêve risquait de se réaliser. « C’est sympa. Moi ? Plus ou moins la même chose, je vais retrouver des proches à Noël. Pour le jour de l’an, je ne sais pas encore. » Des proches qu’ils considéraient comme des membres de sa famille. Il n’en était donc pas si loin.

Le plat était particulièrement chaud. Ses maniques protégeaient à peine ses mains de la chaleur. La paire de gants était usée par toute une vie de bons et loyaux services culinaires. S’ils n’isolaient plus, ils ne remplissaient plus leur fonction. De fait, Adam allait devoir les jeter. Le menu des boissons convenait parfaitement à Lea. Elle était facile à contenter. Il lui arrivait de recevoir des amis bien moins accommodants et beaucoup plus chichiteux. « Je vais sortir la bouteille, dans ce cas. » Adam l’avait gardé au frais, de façon à profiter de toutes les qualités de ce vin français. Lea en profita pour rejoindre sa place à table. Adam fouillait dans l’un des tiroirs, à la recherche de son ouvre-bouteille. Il mit enfin la main dessus. Lea remarqua que le plat était sans viande. Elle lui apprit également être végétarienne. Adam poussait un soupir de soulagement, se bénissant pour sa prévoyance. S’il lui avait servi un plat avec viande, il y aurait eu comme un petit problème. Il se serait senti gêné. « Je suis doté d’un sixième sens. Tu ne le savais pas ? » Il plaisantait, le sourire aux lèvres. « Je voulais te le demander, puis j’ai complètement oublié avec le boulot. N’étant sûr de rien, j’ai préféré prévoir en conséquence. En tout cas, merci, j’espère qu’il sera aussi bon qu’il en a l’air. » Adam retira le bouchon de la bouteille. Il remplit les deux verres, avant d’attraper de quoi servir le plat. « C’est la première fois que je tente de préparer des lasagnes, alors je ne garantis rien. Il se peut que les couches de pâtes soient légèrement croustillantes. » Il n’était pas certain de les avoir suffisamment cuites, avant de monter la préparation dans le plat de cuisson. Adam céda un rire. Il plaça une portion de lasagnes végétariennes dans l’assiette de Lea, puis fit de même pour lui-même. « Ça fait longtemps que tu es végétarienne ? » lui-demanda-t-il, alors qu’il s’asseyait à son tour. « Bon appétit ! »

Adam prenait donc place face à Lea. Le meuble semblait trop imposant pour deux personnes. Il était prévu pour recevoir de grandes tablées. L’américain n’avait pas eu le courage d’ôter la rallonge. La manœuvre s’avérait pénible. Il fallait ensuite stocker ladite planche, puis la remettre en place. En conséquence, il préférait ne pas toucher à sa table et la laissait telle quelle.  Adam cherchait à simplifier son quotidien au possible. Il disposait de peu de temps à lui. Il le mettait à profit, l’employait à des choses qui lui tenaient vraiment à cœur. Son intérieur se conformait à son mode de vie. Anxieusement, il attendait le verdict de Lea. Il avait presque l’impression de se trouver face à un jury. Ce plat lui avait donné du fil à retordre. Il s’était ébouillanté les doigts en voulant récupérer les pâtes dans l’eau frémissante. Avec le recul, les choses ne pouvaient pas tourner autrement. Il avait parfois des réflexes irréfléchis. En soi, la préparation n’était pas si ardue. Mais Adam avait l’art de tout compliqué. Il offrait souvent sa propre interprétation des recettes, plutôt que de les déchiffrer. De fait, le résultat n’était pas toujours au rendez-vous. Avec lui, on assistait parfois à quelques expériences culinaires. Un fumet alléchant se dégageait de son assiette. Il espérait que ses lasagnes étaient aussi bonnes qu’elles en avaient l’air. Il s’apprêtait à le vérifier. Adam n’était pas végétarien. Toutefois, manger un plat sans viande ne le dérangeait en aucune façon. Il essayait de suivre le modèle d’une consommation raisonnée. Il gardait quelques travers. Avant d’attaquer la nourriture, il porta sa main à son verre. Il connaissait bien ce vin. Un ami lui avait recommandé ce vignoble. En revenant de son tournage en Belgique, il avait effectué un petit détour par l’Alsace et avait passé commande. Adam profitait souvent de ses voyages professionnels pour faire un peu de tourisme. Les petites compensations aidaient à tenir le coup, quand il se trouvait loin de ses proches et de son domicile. Il but une petite gorgée de vin, puis se saisit de ses couverts. « Eh bien, merci pour ta compréhension ! » plaisanta-t-il.  Adam riait derrière son poing. Il prit une première bouchée. Bilan, il était toujours vivant ! C’était déjà un bon point. En vérité, il trouvait ses lasagnes plutôt réussies, surtout pour une première fois. Les couches de pâtes ne collaient pas, ni ne croustillaient. L’assaisonnement était équilibré, les légumes avaient du goût. Adam était content de lui-même. Il n’avait pas passé son après-midi au fourneau pour rien. Il dégustait sa part, tout en écoutant son amie. « J’entends souvent dire qu’il est compliqué de ne pas développer de carences. Est-ce que tu rencontres ce genre de problèmes avec les protéines ? » Adam posait cette question tout à fait innocemment. Il était curieux d’en savoir plus. Il cherchait juste à s’informer. L’homme aimait recevoir différents points de vue. Son assiette se vidait déjà et pourtant, il mangeait lentement. Adam ne manquait jamais d’appétit. Il restait encore plusieurs parts, la recette indiquait six personnes. Il pouvait donc se resservir. Adam aurait très certainement des restes. Lea émit un avis positif. Un sourire gagna ses lèvres. Il était vraiment content. « Je te remercie, ça me fait plaisir. » Il devrait peut-être songer à se mettre à la cuisine. Il en maîtrisait les bases, mitonnant souvent pour lui-même. Il n’aimait pas franchement la nourriture industrielle aux goûts fades et chimiques. « Et à part ça, qu’est-ce que tu racontes d’autre ? »

Adam savourait chaque bouchée. Le vin blanc accompagnait parfaitement ce repas préparé par ses soins. Autant en profiter, car cela n’allait pas se reproduire de sitôt. Sous peu, l’acteur reprendrait le chemin des studios. Il n’aurait alors plus le temps de s’amuser à jouer les cuisiniers. Il essayait de ne pas y penser. Cette perspective suffisait à lui miner le moral. Il se sentait épuisé aussi bien moralement que physiquement. Sa courte semaine de vacances ne suffirait jamais à rattraper son retard de sommeil. Il se concentrait sur la nouvelle année à venir. Deux petits mois l’en séparaient. Il aurait aimé fonder des projets. Il ne savait rien de ce qui l’attendait. Il attendait une réponse pour ce film. Adam avait passé les auditions quelques semaines plus tôt. Il s’y était présenté de son propre chef. Toutefois, il commençait à douter de sa décision. À vrai dire, il en venait presque à regretter son initiative. L’envie lui manquait, celle de participer à un nouveau tournage. Il admirait tout particulièrement le travail de Ridley Scott, apprécierait grandement le fait de jouer aux côtés de Matt Damon et Ben Affleck. Le script lui parlait, le tout l’emballait. Sur le papier, tous les éléments étaient réunis. Cependant, Adam ne pouvait s’empêcher d’hésiter. Sa lassitude était telle qu’elle en affectait sa motivation. Un nuage planait au-dessus de sa tête. Adam s’empressa de la chasser, se servant un second un verre de vin. Son ami disait vrai, c’était une excellente bouteille. Ce qui ne l’étonnait pas, connaissant le cépage. Son appétit suivait, alors il s’offrit également une autre part de lasagnes. Il fallait bien se sustenter. « Si tu as encore faim, n’hésite pas. Je peux te resservir. » proposa-t-il. Bien sûr, ce n’était pas une obligation. Il ne voulait surtout pas la forcer à manger.

Il écoutait les explications de Lea, au sujet des protéines. « En effet, c’est aussi ce que je me dis. » Quelques personnes peinaient à trouver un équilibre. Il fallait peut-être se renseigner ou trouver un accompagnement pour effectuer cette transition alimentaire. Adam se souvenait du tournage de Silence. Il avait dû adopter un régime particulier, pour les besoins du tournage. Une diététicienne l’avait accompagné tout au long du projet. Lea maîtrisait bien son sujet. Il n’y avait donc pas lieux de s’inquiéter pour elle. Adam connaissait les aliments possédant les protéines nécessaires, tels que les pois chiches, les fèves, le maïs, etc… Certains végétariens consommaient encore du poisson ou des œufs. Les habitudes variaient d’une personne à une autre.

Le repas avançait, Adam vidait sa seconde assiette. Lea lui parlait un peu plus d’elle. Il l’écoutait en silence, lui prêtant toute son attention. Il lui décrocha du sourire. « C’est bien que tu trouves encore du temps pour toi. Je dois dire que je t’envie ça. » À courir en permanence, il trouvait à peine le temps de se poser. Ses proches lui manquaient, Daisy plus encore. Il ne se satisfaisait pas de la situation actuelle. Il pensait souvent à la discussion qu’ils avaient eue à Londres. Cette relation longue distance ne lui suffisait pas. Il avait besoin d’elle. Toutefois, ce n’était pas le moment d’y penser. Adam revint au présent. « Je vais sortir le dessert. Il faut qu’il décongèle un peu. » Adam se leva et rejoignit le congélateur. « C’est un gâteau glacé. Je ne l’ai pas préparé, comme tu t’en doutes. » Il céda un petit rire. Adam enleva le carton d’emballage, puis le jeta à la poubelle. « J’espère que tu as encore une petite place. »

« Normalement, ça devrait se faire sous peu. » dit-il, affichant un demi-sourire. Bien sûr, la faute était sienne. S’il apprenait à réprimer ses ardeurs, les choses iraient bien mieux. Malheureusement, quand un projet l’intéressait, Adam avait bien du mal à refuser. Pourtant, il se montrait déjà sélectif. Depuis les trois dernières années, il recevait nombre de propositions de rôles. Adam obtenait une certaine reconnaissance au sein de la profession et il s’en réjouissait. Dix ans plus tôt, il sortait diplômé de la Juilliard. Il avait fait son bonhomme de chemin. Adam regardait rarement en arrière. Il se concentrait essentiellement sur le moment présent. Il allait où il devait aller, comme il le répétait souvent. Il dressait peu de projets d’avenir. La vie lui avait appris que les choses ne tournaient pas toujours comme prévu. Depuis lors, Adam se laissait un peu porter. Ainsi, il s’évitait toute déception. Il prenait les choses comme elle venait. Ce n’était pas toujours facile. Adam conservait sa nature anxieuse. Il avait tout de même besoin de son cadre, de ses repères. Il aimait planifier les choses. De fait, cette nouvelle philosophie allait un peu à l’encontre de son tempérament. Une fois de plus, Daisy rebattait totalement les cartes de ce point de vue-là. Depuis son arrivée dans sa vie, Adam percevait un changement subtil dans sa façon de voir les choses. Il nourrissait certaines aspirations, et ce, sans même s’en rendre compte. La configuration de leur couple n’était pas idéale, elle à Londres et lui à New York. Un océan les séparait. Plus le temps passait, plus Adam cherchait des solutions. Dans le fond, il connaissait parfaitement la réponse à toutes ses questions. Il ignorait encore ce qu’il comptait en faire. L’avenir le lui dirait bien assez tôt. Avoir du temps à lui serait une bonne chose. Mais qu’en ferait-il alors ? Cela faisait près de dix ans qu’il travaillait sans discontinuer. Son travail était son quotidien, sa vie. Savait-il encore s’occuper par lui-même ? Certes, il partait certainement dans les extrêmes. L’AITAF continuait d’avoir besoin de lui, il pourrait toujours organiser quelques événements supplémentaires. Avant toute chose, il devait se reposer et se retrouver. « C’est vrai que tu aimes le sucré ! C’est impossible de l’oublier. » plaisanta-t-il. De son côté, Adam était plus salé. Pendant que le gâteau dégivrait, Adam commençait à débarrasser la table. Il rassembla rapidement les assiettes. Les couverts vinrent s’ajouter. Il n’avait pas le courage de laver cette vaisselle à la main, le tout passerait donc à la machine. Adam chargeait l’appareil. Il laissa les verres sur la table. Il sortit des assiettes à dessert et des petites cuillères. « J’essaie de faire un peu de pâtisserie, mais honnêtement… Un gâteau de ce genre dépasserait de très loin mes compétences. » Ne serait-ce que pour réaliser la glace, il lui faudrait se doter d’une turbine. Il l’utiliserait si rarement que l’investissement se ferait en pure perte. Mieux valait ne pas jeter de l’argent par la fenêtre, même s’il n’en manquait pas. Ce n’était pas une raison. Adam sortait un couteau à gâteau et le posait sur la table. Enfin, il transvasa le dessert dans un plat. « Voilà, je te présente le vacherin framboise du vendeur de surgelé du coin. Par ailleurs, je t’assure qu’il est très bon. » Adam coupait deux parts puis les servait dans les assiettes. « Quand je fais mes courses, je vois beaucoup de gens armés de leurs téléphones, qui scannent les différents produits. J’ai eu envie d’essayer pour m’amuser. Et je te rassure, ce gâteau a une excellente note. » Adam ne pouvait s’empêcher de plaisanter. Même si l’information était vraie.