Adam répondait rarement présent, lors des événements Star Wars. Il foulait le tapis rouge, à l’occasion des avant-premières. Ainsi, il respectait les closes de son contrat. En 2015, il en avait négocié certains points. D’aucuns connaissaient le retentissement de la célèbre franchise, à travers le monde. Lorsqu’il s’était lancé dans l’aventure, Adam avait craint de se laisser engloutir par le phénomène. À l’époque, il tournait également dans la série Girls, devait faire face à des contraintes d’emploi du temps. Contraintes qui continuaient, aujourd’hui encore. Adam promouvait Marriage Story, The Report et Star Wars. L’homme commençait sérieusement à en avoir sa claque de toutes ces invitations à honorer.  Il venait de fêter son anniversaire, et ce, entre deux Talk-Show. Autrement dit, il n’avait pas célébré grand-chose. L’acteur ne prenait pas part à la tournée Star Wars. Pour autant, le space opera était de toutes les conversations. Où qu’il aille, les journalistes glissaient une question, glanaient des informations. Adam parlait de l’un ses deux autres rôles, *bam*, Kylo Ren surgissait dans la discussion. « Parlez-moi de bébé Yoda ? », « Soutenez-vous l’une des théories des fans ? Lisez-vous des Fanfictions ? », « Kylo Ren va-t-il connaître une Bendemption ? » Bendemption… Jusque-là, Adam ignorait totalement l’existence de cette appellation, même s’il en comprenait le sens. Il jonglait sans cesse entre ses trois films.

À vrai dire, Adam ne réalisait toujours pas. L’idée peinait à faire son chemin. Une part de lui imaginait encore retourner sur le plateau, retrouver toute l’équipe et tourner un nouveau film. Mais non ! Il n’y aurait pas d’autre épisode. La trilogie prenait fin ici, son aventure avec. Une fois le rideau tiré, il en prendrait conscience. On le rappellerait peut-être dans trente ou quarante ans, à l’instar de Carrie, Mark et Harrison. Adam ne savait même pas où il se trouverait. Puis ce ne serait pas la même chose. L’acteur angoissait de plus en plus. Il remplaçait toujours un projet par un autre, ne se laissait pas le temps de penser. Seulement voilà, après décembre, rien ne l’attendait. Adam serait au chômage. Le tournage de The Last Duel n’arriverait pas avant plusieurs mois. Il aurait donc tout le temps d’y songer. Quelle idée de prendre des vacances ! Il désirait boucler ces promotions et en redoutait la fin. Adam ne savait pas ce qu’il voulait. Enfin, son calendrier mondain se chargeait. Il venait d’apprendre sa nomination aux Golden Globes, on parlait de lui pour les Oscars. Il n’affectionnait pas les cérémonies, mais elles lui occuperaient l’esprit.

Adam profitait de l’un des derniers rassemblements. S’il commençait à ressentir le poids de cette page qui se tournait, il n’en laissait rien paraître. Le brun affichait son habituel sourire en coin, contournait astucieusement les questions. Il se prêtait à son nouveau jeu favori, la déviation de micro. Adam apportait toujours sa note comique, bien que discrète. Il n’était pas mécontent de se trouver à Los Angeles. Même s’il n’avait pas accroché au point de s’y installer définitivement, il appréciait cette ville. L’homme était heureux de retrouver ses collègues. Dans le fond, il regrettait un peu de ne pas participer à la tournée, face à cette fin qui se profilait. Cela lui aurait également donné l’occasion de voir Daisy plus souvent. L’éloignement le pesait. L’événement se terminait en une sorte de réunion du cast, dans un cadre bien moins formel.  La soirée avançait. Adam passait de collaborateur en collaborateur, discutait à tel point que sa bouche devenait aussi sèche que le désert de Gobi. Il voyait ses amis partir les uns après les autres. La salle de cocktail se vidait. Il se retrouva avec Oscar, à parler de tout et de rien. Adam ne savait pas où était Daisy, il lui semblait l’avoir aperçue dehors. L’anglaise pleurait beaucoup, il espérait donc qu’elle allait bien. Elle avait besoin de son espace. Chacun gérait la situation à sa façon. Oscar était aussi son meilleur ami, son frère de cœur. Il ne comptait sûrement pas perdre le contact. Qui sait ! Peut-être se retrouveraient-ils sur un cinquième film, après Inside Llewyn Davis et Star Wars.

Daisy reparut devant eux. Adam survola la salle du regard, il ne restait plus qu’eux. « Je crois qu’ils sont tous partis. » répondit-il. Adam allait partir en quête d'un pot glace au chocolat, pour la consoler. Il zieuta sa montre. « C’est vrai que le temps passe. » Les heures tournaient bien trop vite à son goût. « Vous rentrez, vous aussi ? »

Pando

Adam avait été content de passer la soirée avec tout ce beau monde, bercé par le sentiment d’un travail accompli. Une boule commençait à se former au creux de son ventre. Aucun doute, la nostalgie s’emparait de lui. L’atmosphère était joyeuse mais empreinte de mélancolie. Dire aurevoir lui demandait plus de courage que prévu. La situation le dépassait un peu. Peut-être était-ce pour cela qu’il s’attardait à ce point. Ce n’était pas très sérieux de sa part. Il aurait mieux fait de se "pieuter" de bonne heure. Adam ne se levait pas au chant du coq, enfin tout de même. Ses collègues se montraient bien plus sages que lui. Ce n’était pas non plus comme s’il alignait son énième shot de vodka ou se trouvait raide mort sur le sol, en raison d’une trop forte alcoolémie. Il n’avait bu qu’une simple bouteille de bière et une flûte de champagne. Sa tête ne risquait donc pas de tourner et tant mieux. Adam devait faire attention. Son médecin venait de lui prescrire des somnifères en plus d’une cure de vitamines, de façon à ce qu’il tienne le coup jusqu’à la fin du mois. Il dormait mal et sa tension était plutôt basse, du fait de son surmenage. Certains jours, l’acteur se sentait un peu cotonneux à cause du médicament. Il ne voulait pas en rajouter. Il éprouvait un soupçon de honte, n’ayant pas noté le départ de ses collaborateurs.

Adam haussa un sourcil, rieur. « Les hommes aussi peuvent bavasser. Puis, c’est Oscar le responsable. Il me déconcentrait. » Il ne se jugeait pas coupable. Toute la faute incombait à Oscar. S’il n’avait pas distrait Adam, il n’en serait pas là. Non, bien sûr, Driver endossait la totale responsabilité de son inattention. Il lui arrivait d’avoir la tête dans les nuages. Cela se produisait souvent, en présence de son meilleur ami. Adam refaisait le monde, devisait de choses et d’autres. « Non, je plaisante. C’est vrai qu’on a beaucoup parlé. J’espère qu’on ne nous en tiendra pas rigueur. » Au besoin, il aurait toujours l’occasion de s’excuser. De prime à bord, il ne semblait pas très loquace. Il ne fallait pas nécessairement s’y fier. Adam pouvait devenir particulièrement volubile. Oscar offrit de les recevoir chez lui, pour y boire un dernier verre. Daisy y était favorable. Il ne manquait plus que la réponse d’Adam. Il tenait la dernière occasion de se montrer raisonnable, de rentrer se coucher. Au diable la sagesse ! Il avait un début de cafard et ne souhaitait pas gagner son hôtel tout de suite. Les occasions de passer des moments avec ses proches se comptaient sur les doigts d’une main. Quand une opportunité se présentait, il la saisissait. Après tout, il ne s’embarquait pas pour faire la bringue, il allait juste profiter encore un peu d’Oscar et Daisy. « Je suis d’accord. C’est gentil à toi de nous inviter. » Adam avait remarqué que Daisy l’avait associé à sa phrase. Il angoissait un peu, car il ignorait si elle savait qu’Oscar connaissait leur situation. Mettre son ami dans la confidence était peut-être maladroit. Ils n’avaient pas encore parlé de révéler leur relation. Oscar et Daisy faisaient la tournée ensemble. Adam tombait comme un cheveu sur la soupe, il fallait qu’il raccroche les wagons. Il essayerait de faire le point de façon détournée.

Laissant Daisy et Oscar discuter de la distance, Adam se pencha pour ramasser son téléphone et sa veste de costume. Il parcourut rapidement ses messages, avant de verrouiller son écran. Le brun les regardait du coin de l’œil. Une idée lui vint. Depuis six ans, Adam attendait son heure, celle de la vengeance. John n’était pas là mais tant pis. Il s’occuperait de son cas plus tard. L’air de rien, il se redressa et les attira tous deux dans une solide étreinte, les prenant au dépourvu. « Ça, c’est pour tous les câlins surprises que vous m’avez fait, au cours des six dernières années. » Adam se référait au petit jeu lancé par John, sur le premier tournage. Il les libéra rapidement, avec un petite rire victorieux.

Pando

Pire que des gosses ? Adam se donna un air parfaitement sérieux. « Personnellement, j’en suis très fier. » Un large sourire se peignit sur ses lèvres. Son envie de rire prit le pas sur la comédie. L’acteur cultivait son côté enfantin. De l’art de se comporter comme le gamin qu'il était par moments ! L’heure tardive le désinhibait ou réduisait ses filtres, au choix. Adam n’était pas connu pour être le boutentrain du cast, loin de là. Ce rôle revenait plutôt au trio de lascars. À eux trois, John, Daisy et Oscar formaient le noyau dur de l’équipe. Sur le plateau, Adam s’isolait plus de la moitié du temps. Comme le soulignait JJ, il semblait parfois impossible de lui parler, tant il se concentrait sur la scène à venir. Dans le temps, lier des amitiés lui créait quelques difficultés. On ne faisait pas plus discret qu’Adam. Depuis le tournage du huitième volet, le brun tombait le masque. Il en venait à se tapir dans les coins, histoire de flanquer la trouille à ses co-stars. Adam faisait des progrès, non ?

Il avait tissé des liens très forts avec ses collègues Laura Dern et Keri Russell. Il venait d’ailleurs de les retrouver sur le tournage de Marriage Story mais aussi sur les planches, pour la pièce Burn This. Adam gardait le contact avec Gwendoline Christie et Domhnall Gleeson, ses "méchants" alliés. Souvent, il avait une pensée pour la regrettée Carrie Fisher, sa maman à l’écran et aussi celle de toute l’équipe. Il se souvenait encore de ses avant-premières où elle lui confiait son chien, Gary. Un sacré bout de femme qu’il n’oublierait jamais. Grand absent des phases promotionnelles, Il avait quelques fois le sentiment de rater des choses. Les anecdotes s’accumulaient et il n’en faisait pas partie. D’un autre côté, il exécrait les interviews à répétition, même si certaines - bien que rares - donnaient lieu à des débats intéressants.

L’invitation d’Oscar sauvait sa seconde partie de soirée, celle-ci ne promettait guère. Adam n’avait aucun plan. Nulle ne savait jamais l’heure à laquelle se terminait ce type d’événements. Souvent, les soirées s’éternisaient. Pour une fois, son agent ne lui avait pas dégoté d’autres engagements dans la foulée. Un luxe qui lui évitait de prendre un x-ième vol en pleine nuit. Oscar estimait la durée d’un trajet entre leur localisation actuelle et son domicile. Los Angeles était une grande ville, que d’aucuns aimaient à décrire comme "spacieuse". Un terme que l’on n’avait pas choisi au hasard. Sa superficie atteignait tout de même les 1 302 km², soit presque le double de New York. Adam s’était senti dépaysé, lors de son installation.

Son assaut fonctionnait plutôt bien, dans la mesure où ses collègues ne s’y attendaient pas. Adam se glorifiait de cette réussite. Qu’ils rient ! Il n’en avait certainement pas fini avec eux. Un câlin surprise ne suffisait pas à venger six années d’étreintes imprédictibles !  Adam se tourna vers Oscar, arquant un sourcil. Il était presque tenté de faire l’acteur et de céder quelques fausses larmes, juste pour voir sa réaction. Mais c’était aussi jouer un jeu dangereux car il se savait un peu nostalgique, ce soir. S’il ouvrait vraiment les vannes, même pour plaisanter, il craignait que cela ne devienne sérieux. Adam n’arrivait pas à se souvenir de la dernière occasion où il avait pleuré. Le comédien retenait tout à l’intérieur. D’une certaine façon, son métier lui permettait d’extérioriser. « Fais l’innocent, Oscar ! Non en fait, je cherchais juste un prétexte pour te prendre, toi, dans mes bras. Tu sais bien ! » plaisanta-t-il. Daisy resserra sa prise sur lui, traitresse ! Adam lui jeta un regard sans équivoque, signifiant clairement qu’il s’occuperait de son cas plus tard. Il avait noté le clin d’œil lancé à Oscar. « Oscar, si tu fais ça ! Choisis bien tes alliances ! » prévint-il. « Moi qui croyais être le mal aimé ! » répondit-il, à l'attention de Daisy.

Daisy profita de l’absence d’Oscar pour lui dérober un baiser. Cela voulait-il dire qu’elle ne  savait pas qu’il savait ? En fait, ça ne signifiait pas grand-chose. Il allait devenir chèvre, ainsi maintenu dans l’ignorance. Oscar annonça avoir appelé un Uber. Adam se sentit rassuré. Il ne pouvait pas conduire mais n’aurait pas à le faire. « C’est okay ! » Daisy s’éloigna à son tour et Adam sauta sur l’occasion qui lui était donnée. « Daisy sait que tu es courant pour nous ? » demanda-t-il, discrètement. Il passa sa veste et fourra son téléphone dans la poche. La porte vitrée offrait une vue dégagée sur la route. Le brun guettait l’arrivée de la voiture Uber. Un serveur  débarrassait les tables, emportant une bouteille de champagne non entamée.  Adam partit négocier avec lui et revint avec ladite boisson. « Ça peut toujours servir !» fit-il remarquer.

Pando