Moose tirait sur la laisse, tout impatient qu’il était d’aller plus avant. Adam verrouillait la porte de son appartement New-yorkais, sa serrure cédant un cliquetis mécanique. Le chien s’impatientait, jappait, les oreilles plaquées en arrière. Les murs du couloir leur revoyaient les aboiements répétés. On l’entendait sûrement depuis l’étage inférieur. Adam fourrait son trousseau de clefs dans sa poche, prêt à gagner la cage d’escalier. L’homme n’empruntait plus l’ascenseur, une nécessité pour sa rééducation. Il se réhabituait à l’effort et descendre une volée de marches semblait plutôt opportun. Il ne faisait rien pour calmer l’excitation de l’animal.  En temps normal, il formulait l’éternelle réprimande, eu égard à ses voisins qui ne souhaitaient sûrement pas profiter d’un concert canin. Aujourd’hui, il y témoignait une certaine indifférence. Pourtant, il était tôt. Certains locataires dormaient encore. Alors qu’ils atteignaient le palier, la porte d’un appartement s’ouvrit devant eux. Il s’agissait de sa voisine, la vieille unetelle. Adam ne connaissait pas son nom ou l’avait oublié… L’homme eut droit aux remontrances de circonstance. La dame n’appréciait guère le tapage quotidien provoqué par son chien, le sommait d’intervenir avant qu’elle ne se saisisse du syndic de copropriété. « Ce n’est pas mon problème. » trancha-t-il. Adam partit sans demander son reste, ignorant superbement ses dernières récriminations.

Un taxi le déposa du côté de Brooklyn. Il avait quelques affaires à y régler et comptait en profiter pour s'aérer. Chaque matin, il s’en allait faire une promenade, en compagnie de Moose. Marcher était également une bonne chose pour lui. Cette activité comptait parmi les innombrables exercices auxquels il devait se plier, depuis sa sortie de l’hôpital. L’incident remontait à la fin du mois de décembre. Adam se souvenait encore de la vive et soudaine douleur, en pleine nuit. Une douleur dans la poitrine arrière, terriblement angoissante, qui se propageait jusqu’au bras. Il ressentait encore son essoufflement, son agitation d'alors. L’homme se trouvait en compagnie de son grand ami, John David Washington, une chance ! Aux urgences et après une batterie d’examens, le verdict tombait, Adam faisait un malaise cardiaque. Après six jours d’hospitalisation, l’acteur rentrait chez lui. Depuis lors, il faisait l’objet d’une surveillance régulière. Il suivait un traitement, bêtabloquant, inhibiteurs calciques, IEC, dérivés nitrés, etc… On revoyait jusqu’à son hygiène de vie. Par chance, il pouvait effectuer sa rééducation à domicile, car Adam devait se réadapter à l’effort. Bien entendu, les médecins cherchaient la cause de ce malaise.  L’homme ne fumait pas, ne souffrait pas de diabète, d’hypertension artérielle ou autres maladies. Certes, son cœur avait été abimé par sa fracture au sternum, quelques années plus tôt. La réponse était venue rapidement, le stress se trouvait à l’origine de tous ses maux.  Le stress et une fatigue croissante qui datait de plusieurs mois. À force de trop tirer sur la corde, celle-ci avait cédé. Son corps se rebellait, ployait sous l’épuisement. Il le lâchait.

Adam marchait en plein centre de Brooklyn. Une capuche lui dissimulait partiellement le visage, ainsi qu’une paire de lunettes de soleil. Physiquement, il avait eu meilleur mine et ne tenait pas à être photographié. Son teint pâle trahissait son état convalescent. Il poursuivait sa sortie. Sa vision périphérique lui permit de repérer deux ou trois paparazzis qui le suivaient. Habituellement, il n’y prêtait pas attention. Actuellement, il en était courroucé, et ce, plus que de raison. L’un des hommes l’interpella, ce fut la goutte de trop. Sur un mouvement d’humeur, Adam leva sa main et leur adressa un doigt d’honneur. Il aurait dû les ignorer, comme il le faisait toujours. Un sentiment de colère le gagnait. Il ne pouvait hâter le pas, trop faible pour cela. Driver se sentait pathétique, frustré, impuissant. La vague de négativité se manifestait à nouveau. Le matin, il parvenait à peine à se sortir du lit. Adam n’aspirait qu’à rester là, sous ses couvertures et dans le noir. Il n’avait le goût à rien, tout le laissait indifférent. Un brouillard permanent l’entourait, obscurcissait ses pensées. Adam passait d’une émotion à une autre.  La culpabilité dominait tout cet ensemble.  Il songeait à son travail, en éprouvait du dégoût. Dans un mois, il devait gagner la France pour son prochain tournage. Comment allait-il s’en sortir ? Au détour d’une rue, Adam se sentit mal, victime de vertiges. Le brun avait sans doute trop marché. Sans vraiment y réfléchir, il échangea une série de SMS avec Axel, son ami se trouvant le plus proche. Le français acceptait de le recevoir chez lui, à son grand soulagement. Il avait besoin de voir un visage amical et familier. En chemin, Adam s’arrêta à un stand de spécialités canadiennes et y acheta des pogos. Il savait déjà qu’il n’en mangerait pas, faute d’appétit. Mais Axel s’en régalerait sûrement. Dix minutes plus tard, il arrivait devant sa porte. Son ami l’y attendait déjà. Il s’arrêta devant lui, ôta sa capuche et ses lunettes. « Comment va, l’ami ? » Adam n’avait pas la force de sourire. « Pardonne-moi de débarquer à l’improviste. Je suis content de te trouver là. » C’était le cas de le dire. « Au fait, bonne année à toi, bonne santé et meilleurs vœux ! » Cette simple phrase lui donnait envie de vomir. Un putain de tissu de mensonges, d’après lui…

Il n’avait pas revu Axel depuis la fin du tournage d’Annette, en novembre 2019. Pour la première fois, Adam lui rendait visite à sa nouvelle adresse. Le français vivait dans un coin sympathique. « L’arrondissement le plus en vogue, à New York ! » disait-on. Les modes changeaient. À une époque, les gens ne juraient que par Manhattan. La gentrification rebattait toujours les cartes. Adam aimait Brooklyn pour des raisons qui lui étaient propres. Il y avait habité pendant quatorze ans. Ce lieu incarnait tout simplement son ancien chez lui. Adam y passait trop peu souvent à son goût. Maintenant qu’il vivait ailleurs, ses habitudes changeaient. Parallèlement, Il conservait une pointe d’amertume. Les lieux lui rappelaient sa maison perdue. Une séparation impliquait quelques concessions. Adam avait cédé son toit contre un morceau d’autre chose. Quelle étrangeté que le divorce, deux personnes se disputant les restes d’une union ratée ! Adam se souvenait du pathétique de la situation. Chacun manœuvrait selon ses propres intérêts, prêt à tout pour grappiller à peu près tout et n’importe quoi, jusqu’au vulgaire pot de fleurs offert par tante Thérèse. Comme si celui qui obtenait la plus grosse part, remportait la partie. Vraiment, il s’était montré sous son plus mauvais jour à ce moment-là. Un véritable connard, s’il en croyait Joanne. Son ex-épouse n’était pas en reste, ce qui n’excusait rien. Adam ignorait pourquoi il ressassait tout ça, alors qu’il gagnait l’ascenseur de l’immeuble d’Axel. Ces derniers temps, il remuait beaucoup de choses négatives. Un nuage flottait en permanence au-dessus de sa tête.

L’homme s’appuyait contre le mur de la cabine, songeur. Il regrettait sa présence ici même. L’idée lui paraissait déjà mauvaise, pour ne pas dire stupide. Il ne voyait personne, parce qu’il savait ne pas être en état. Ce n’était pas un cadeau à faire à quelqu’un, que de lui infliger sa présence. Actuellement, Adam ne se montrait pas de bonne compagnie. Il en voulait à la terre entière, broyait du noir. Un rien l’exaspérait. Le bonheur des autres le débectait, lui donnait des haut(s)-le-cœur. Il l’admettait non sans honte. Adam se sentait creux, las de toute chose et plus encore de lui-même. L’homme ne se reconnaissait pas. Depuis quand avait-il autant de colère en lui ? Lui faire face, c’était comme avoir un bloc de marbre devant soi. Il s’avérait hermétique à tout ce qui l’entourait. Adam avait l’impression de ne plus rien ressentir, hormis la fatigue et ce poids constant à la poitrine. Ce n’était pas une charge liée à son état de santé, ce fardeau venait d’ailleurs.  

Axel passa de son chien à Adam, s’attardant davantage sur lui. Il ne s’en étonnait pas, au vu de son allure assez inhabituelle. Son visage mettait du temps à retrouver des couleurs. Pour ne rien arranger, il n’apportait plus autant de soin à sa personne. Adam se lavait, s’habillait, se peignait. Il faisait le minimum syndical, en somme. Par contre, se raser était en option. Pourtant, le look hipster passait un peu de mode. Son ami l’invita à entrer. Axel avait l’air bien, lui. Adam ne gageait de rien. Son sens de l'observation manquait d’efficacité, présentement.  Cependant, il ne le trouvait pas au mieux de sa forme. Il se faisait peut-être des idées. L’homme voyait du noir partout. Effectivement, des cartons occupaient la pièce. Adam ne se sentait pas dépaysé, de cette façon. Il se traînait encore quelques boîtes datant de son divorce, mais aussi de sa maison de LA. « Merci… Tu sais, chez moi, c’est pareil. La cohabitation se passe bien ? Ce n'est pas toujours évident, dans mon souvenir... » Optimisme ! Adam ne se sentait pas à l’aise. Il se demandait clairement ce qu’il fichait ici, se maudissait intérieurement. Axel devait se poser exactement la même question. Cette idée ajoutait à son embarras. Adam luttait contre cette envie qu’il avait de prendre la porte. Le français fit mention de la joie qu’Ouba éprouverait devant Moose. Moose… Il en avait presque oublié la présence de son chien, dont il tenait encore la laisse. Normalement, il lui aurait semblé bien impoli de débarquer chez quelqu’un, sans l’aviser de la venue de son animal de compagnie. Adam était totalement à l’ouest. Il enregistra à peine la question d’Axel. « Hum, de l’eau, merci. » Axel s’éclipsait dans la cuisine. Adam ôta son manteau et libéra son chien, sans lui retirer son harnais. Au retour de son ami, il se trouvait assis sur le sofa, bras croisés, comme fermé au monde. Ah oui, le sac… « Pogos, spécialité canadienne, je ne sais pas si tu connais. C’est pour toi. » Il fit glisser le paquet vers lui.

Adam sentait bien qu’il lui devait une explication, quant à sa présence. C’était à son tour de parler. Pauvre Axel, il semblait perdu face à lui. « Ne tire pas cette tête… Je ne compte pas m’attarder, je te rassure... » Même dans son état, cette réplique lui parut froide et injustifiée, sitôt après qu’il l’eut prononcée. Adam plaqua une main sur son visage, honteux. « Je ne sais pas ce que je fais ici. Je me suis trouvé mal. Ton nom m’est venu… Je crois que je ferais mieux de partir. Je te fais perdre ton temps. » Adam commença à se lever pour rassembler ses affaires.

Adam détaillait la pièce dans laquelle il se tenait. Il se donnait une contenance, affectait un intérêt pour les lieux. Son regard s’attardait vaguement, survolait plus qu’il ne découvrait. La curiosité n’était pas au rendez-vous. Il aurait pu demander à faire le tour du propriétaire. Comme l’aurait fait tout ami qui se respecte, après une récente installation. Au lieu de quoi, il se murait dans un silence temporaire. Il préférait se taire. Au vu du comportement qu’il avait avec John, aux paroles blessantes qu’il lui adressait, cela valait mieux. Son ami subissait ses humeurs, depuis près d’une semaine. Il encaissait sans rien dire. Visite après visite, Adam pensait ne pas le revoir au lendemain. Il se montrait imbuvable, voulait qu’on le laisse tranquille. Pourtant, inlassablement et chaque matin, ce dernier se présentait devant sa porte. Il le surveillait, préparait ses repas, sachant pertinemment qu’Adam n’en ferait rien. Moose jouait aussi le garde-malade. Il le tirait du lit, quitte à le traîner par les pieds. L’homme forçait un peu le trait, mais l’image était bien là. Son chien aboyait, sautait sur son lit. Le bougre avait appris à ouvrir les portes. Jusque-là, le principe d’une poignée lui échappait encore. John refusait de nourrir le canidé, il renvoyait Adam à ses responsabilités. Ainsi, il le forçait à s’en occuper. Driver le sortait, remplissait ses gamelles mais restait distant. Un rapport de forces s’établissait entre les deux amis, entre chantage et mauvaise humeur. Adam était buté, irascible.

La cohabitation d’Axel semblait bien se passer, d’après ses dires. Adam n’était pas vraiment venu aux nouvelles, ces derniers mois. Il courait à droite, à gauche. Décembre ne lui avait pas laissé une seconde. Cérémonie, promotion, interviews, cérémonie, promotion, interviews… Le cycle se répétait invariablement. Puis il avait enchaîné sur les fêtes, passant Noël en compagnie de son meilleur ami et de son filleul. Adam ne se réunissait plus en famille en cette période, contrairement à la plupart des gens. Il fonctionnait ainsi depuis une bonne décennie. Les rapports - qu’il entretenait avec ses parents - n’allaient pas dans ce sens.  Quant au nouvel an, ce n’était pas la peine d’en parler. Il attendait encore sa flûte de champagne. Adam avait "célébré" la Saint-Sylvestre dans un lit d’hôpital, avec les infâmes flans arôme vanille. Comment voulait-on qu’il retrouve l’appétit avec ça ? « Les fêtes étaient sympas ? Tu as vu ta famille ? » Il essayait vraiment de faire des efforts. Adam forçait le ton de sa voix, pour paraître enjoué. Sa performance laissait à désirer, sonnant de façon peu convaincante. Ses réflexes d’acteur lui échappaient.

Un instant plus tard, il campait sur le canapé de son ami. Les pogos suscitaient l’enthousiasme d’Axel. Ça alors, il arrivait encore à faire quelque chose d’utile… Axel demanda s’il en mangerait. Cette simple idée l’écœurait. Les effluves des saucisses lui retournaient l’estomac. Il éloigna un peu plus le sac, comme pour s’en préserver. « Non merci, je n’aime pas trop ça. Puis j’ai déjà mangé. » Adam mentait sur un point. Il adorait les pogos. Il était capable d’en dévorer plusieurs à la suite. Présentement, il ne pouvait rien avaler.

Adam était une boule de colère.  Il évitait tout contact visuel, incapable d’affronter le regard d’Axel. À ce rythme, il allait jeter une seconde amitié aux orties. Le remords l’étreignait. Il voulait reprendre ces paroles blessantes. Sa honte alimentait son dégoût de lui-même. Il priait pour que le sol se fracture, l’emportant avec lui. Il désirait quitter cet endroit, se terrer chez lui. À cette idée, Adam trouva le courage de se lever. Il exprima son souhait. Alors qu’il s’éloignait, Il se sentit tiré en arrière. Adam retombait sur son séant. Il ne s’y attendait pas, n’avait opposé aucune résistance. Sa veste gisait sur le sol. Il venait de l’échapper dans le mouvement. Le brun écarquillait les yeux, dévisageait Axel. C’était un geste surprenant, venant de lui.  Le français avait plus de force qu’il ne le pensait. L’expression de son ami le décontenançait un peu plus. Il ne lui avait jamais vu un tel air. Adam en fut réduit au silence. La seconde suivante, il retirait son bras. Il fronça les sourcils « Ce n’est pas la peine de faire comme si tu t’en souciais vraiment... Ça va faire quoi… Presque deux mois qu’on ne s’est pas vus. Je ne crois pas avoir reçu de message ou d’appel de ta part. Je ne te blâme pas pour ça. Je n’ai pas plus cherché à prendre de tes nouvelles.  Alors surtout, ne te sens pas obligé ! Épargne-moi ça ! Je n’ai pas besoin d’une mère Teresa. » trancha-t-il. Adam se détourna légèrement, serrant les poings. « Excuse-moi, je ne le pensais pas… » Il se concentrait sur son verre d’eau. « Je suis juste un pauvre con fatigué. Ça te va comme ça ? Je peux rentrer chez moi ? » Adam tendait son bras pour ramasser sa veste et la placer contre le dossier. Il ferma les yeux, pressant deux doigts sur ses paupières closes. Enfin, il enfouit son visage entre ses mains. Ses bras tremblaient légèrement. « Je suis vidé et à bout de nerfs, Axel… Je m’énerve déjà sur tout le monde. Je ne tiens pas à me fâcher avec toi… »

Les mères… La sienne téléphonait en permanence, depuis son hospitalisation. Adam ignorait ses appels. Son discours ne variait jamais, il connaissait la ritournelle. L’occasion était trop belle. Une fois de plus, sa famille visait son mode de vie, son métier… D’ailleurs, à les entendre, on ne pouvait pas véritablement parler d’un travail… L’issue était prévisible, ils l’avaient prévenu. Etc… Etc… Adam n’avait pas la patience d’écouter leurs monologues moralisateurs. Oui, beaucoup de gens l’appelaient dernièrement. La rumeur commençait à se répandre dans la presse, en dépit de toutes les précautions prises par son agent. Des personnes - dont il n’avait plus de nouvelles - se manifestaient brusquement, maintenant que tout allait mal.  Son appartement devenait un cinéma, où les gens venaient le voir. Comment démêler le vrai du faux, reconnaître la sincérité ?  Ce n’était pas comme si ça l’intéressait réellement…

« Je ne sais pas. » Adam ramenait sa veste sur ses genoux. Il triturait nerveusement le tissu, le regard dans le vague. Il entendait le tintement de ses clefs dans sa poche intérieure. Axel lui prêtait attention. Après tout, que pouvait-il faire d’autre, un intru sous son toit ? Il vaquait probablement à ses occupations avant son arrivée. Adam se sentait mal. Il ne parvenait pas à en déterminer la cause. Était-ce physique ? Avec le cocktail médicamenteux qu’il ingurgitait, un brouillard cotonneux l’enveloppait. Adam dormait peu. Le manque de sommeil le rendait irritable. Il restait les yeux grands ouverts, drapés dans ses couvertures. Quand il ne se réveillait pas, la boule au ventre. Il ressassait nombre de pensées. Il savait pourtant qu’il n’était pas bon de se laisser happer. La nuit aggravait les problèmes, les rendait plus importants qu’ils ne l’étaient vraiment. L’obscurité noircissait chaque tableau. Adam refusait de céder à la fatigue. Une peur irrationnelle et viscérale le gardait loin de Morphée, la crainte que son cœur fasse à nouveau des siennes. Par moments, il sentait une douleur fantôme à la poitrine. Il en avait honte et n’en parlait pas. Une migraine commençait à poindre. Et non, il ne savait pas s’il s’agissait de lui-même ou de son traitement.

Adam écoutait Axel, sans mot dire. Les paroles du Français suscitaient plus ou moins d’émotions. La remarque sur son état lui décrocha un rire nerveux. Le jeune homme soupirait, Adam prenait une profonde inspiration. Pourquoi l’avait-il appelé, lui, plutôt qu’un autre ? Axel n’était pas la seule de ses connaissances à vivre du côté de Brooklyn. Il aurait pu contacter n’importe qui. Son ex-femme habitait à deux pas d’ici. Il aurait dû aller l’embarrasser, elle, au lieu d’un ami. Il se serait régalé à lui donner tout l’embarras du monde. Mais Adam s’était senti mal. Il n’avait pas téléphoné pour gâcher la journée de quelqu’un. Il s’était tourné vers une personne de confiance, instinctivement. Adam abhorrait sa faiblesse, foncièrement indépendant. « M’aider ? » L’Américain levait le menton et croisait volontairement son regard. « Je suis un grand garçon, Axel. Ne t’inquiète pas… Il y a des dizaines de personnes qui prétendent vouloir m’aider, actuellement. Je suis " bien entouré ". » Que voulaient-ils, d’ailleurs ? Se donner bonne conscience ? Il parlait calmement, constatait simplement les faits. Adam reportait son attention sur son manteau, tirant sur les cordons de la capuche. Il enroulait l’une des ficelles autour de son annulaire. « Tout le monde voudrait que je parle. Sauf que je n’ai pas envie de discuter. Je n’ai rien à dire… » …ou tout à dire. Son poing se refermait sur pan de sa veste, étirant légèrement le tissu. Adam faisait face à des individus pétris de bonnes attentions, aux sourires affables. Il étouffait littéralement en leur présence. Il se sentait seul, étant pourtant entouré d’une nuée.

Axel attrapa le verre d’eau et le glissa dans sa main. Habituellement, Adam aurait sorti une mauvaise blague du type : « Merci, maman ! » Il n’en fit rien. Silencieusement, il se pencha à hauteur de son sac et attrapa une boîte de médicaments. Il récupéra un cachet, puis l’avala à l’aide de l’eau. Enfin, il rangea l’emballage, un tube de gélules tomba au sol et roula vers Axel. Adam tendit le bras et le ramassa. « Ne fais pas attention, j’ai juste des soucis de santé. » Il rit de façon sarcastique. « Prévisible quand on y pense. Même moi je l’avais vu venir. » Adam posait le verre sur la table. Tout à coup, il semblait être frappé par un détail. « Il n'est pas là, Maxence ? » En soi, il pouvait être n'importe où. Son absence n'avait rien d'étrange. Adam tentait juste de changer de sujet, pour ne plus parler de lui.